Il n’y a pas de lumière intense sans mystère ou sans énigme.
Bernard Bouin l’habille d’une intemporalité silencieuse dans laquelle se lovent réalité et illusion.
Il la peint et la suspend au temps . Le temps d’une vibration
Et que la lumière scintille ! Tel pourrait être l’adage de ce peintre pour qui tout semble être mirage. Il donne à la pureté de ses images , la couleur de l’embrun, la musicalité d’une symphonie silencieuse enveloppée d’une nébuleuse lumineuse .
Bernard Bouin plante un dramaturgie névrotique : l’insaisissable face à la réalité . Une réalité plongée dans le frémissement d’une nature à la fois menaçante et sensuelle . L’insignifiant sublimé transforme les saisons, immobilise l’espace-temps alors qu’à l’échelle humaine « le promeneur » s’y perd. Devant l’immensité et l’incertitude de ce qu’il nous est donné à voir, reste le rêve éveillé, grotte souveraine peuplée de récurrences et de secrets. Peut-on aussi parler de voyage astral lorsque ces paysages champêtres ou urbains épurés se figent dans une chrysalide finement modulée ? A vrai dire, c’est dans l’inépuisable richesse du temps que Bernard Bouin s’amuse à rendre les scènes familières « étranges ». « Le quai », lieu immuable d’un présent pour un ailleurs , se mure dans un départ et une arrivée fragilisés. « L’allée » file à la lueur nocturne d’un lampadaire vers une mystérieuse source lumineuse quelque peu vaporeuse. Tout part du banal , de la petite « chose » sans intérêt confrontée brusquement à une atmosphère trouble dans lequel le temps n’est plus qu’une interrogation repliée sur elle-même .
Bernard Bouin lui donne une patine fine et dense avec ses dégradés subtils et des transparences de couleurs mettant en scène chaque élément aussi anodin soit-il.
Un art qui se perd au regard de notre technologie omnipotente .
Harry Kampianne – Arts actualités Magazine.
Entrer dans la peinture de Bernard Bouin par le grand polyptyque « Montagne » peint en 1999 au retour d’un voyage à la Réunion, pourrait être le rappel de son goût profond pour le paysage . Mais il s’agit là d’une rencontre particulière avec une nature primitive, d’un choc émotionnel chez un peintre dont les questions touchant au vivant au sens biologique , construisent l’oeuvre.
Cette plongée dans le végétal fait écho aux recherches de Gauguin qui écrit : « la couleur, est une vibration comme la musique, atteint ce qu’il y a de plus général, et partant de plus vague dans la nature : sa force intérieur ». La quasi-monochromie de verts, la lumière sourde et le format inhabituel ( 114 x 730 cm) traduisent la démesure de la nature.
Elle conduit le peintre à une perception du sacré et lui permet de saisir les mécanismes de la vie en perpétuel jaillissement et poursuivre son questionnement sur la place de l’homme dans le monde.
C’est par le dessin des paysages familiers et des objets de quotidien, explorés dans leur géométrie interne, cernés dans leurs contours que s’opère l’appropriation des formes. Les esquisses, minutieusement reportées sur la toile, sont oubliées, effacées, dès lors que commence le travail de la couleur.
Bernard Bouin peint des paysages réels, connus de lui, l’objet simple le rassure, et seule l’émotion qui surgit de la forme lui importe. Les paysages de campagne sont baignés d’une lumière froide, hors du temps, alternent avec des paysages urbains le plus souvent nocturnes. Le peintre se plaît pourtant à rappeler que la nuit, le monde ne disparaît pas, il est simplement caché à notre vue. Devenu image, il échappe ar réel pour toucher la mémoire de chacun. Un quai de gare, reconnaissable à ses murailles de verdure, des personnages immobiles installés dans l’attente, histoires suspendues dans des espaces abstraits, la représentation humaine à toujours habité la peinture de Bernard Bouin.
Bernard Bouin vit avec le sentiment très fort du temps qui passe, l’urgence de la tache à accomplir. Son souci est de comprendre le sens de la vie. Se référant à Nicolas Poussin (1594-1665), il peint 1994 quatre triptyques sur le thème des saisons. Ce sujet, repris plusieurs fois depuis, est traité en quatre peintures figurant à la fois les saisons et les âges de la vie ou en trois diptyques figurant les heures du jour.
Bernard Bouin à tôt compris que la peinture ne se résume pas à sa représentation. Le motif est prétexte. Il élude donc la fausse querelle de l’abstraction et de la figuration, ainsi que celle des anciens et des modernes. Il renouvelle également l’usage du polyptyque autrefois largement utilisé par les peintres, lui donne une nouvelle justification. Ces espaces, double, ou multiples, ouvrent le champ à des expériences picturales et offrent en même temps au visiteur la possibilité de trouver dans l’image un écho à ses propres émotions.
En refusant la rupture le peintre gagne une formidable liberté.
Pour avoir exposé régulièrement, pendant plus de dix ans Galerie Visconti chez José Pichotin, Bernard Bouin est bien connu du public parisien. Son exposition au Centre Présence Van Gogh permet de regrouper un ensemble de tableaux dont les grands polyptyques qui dans cet espace acquièrent une dimension cosmique. Simulatrice de l’espace physique , l’émergence lumineuse s’accorde naturellement au silence intérieur caractérisant sa peinture. On trouve ces scènes, tour à tour diurne ou nocturne à l’ambiguïté à la fois mystérieuse et troublante dans un réalisme qui feint l’illusion. Rêve ou songe éveillé, la narration devient subitement équivoque . La magie lumineuse transforme la banalité en une image tangible qui bascule aussitôt dans l’abstraction spatiale.
(…) Le temps entre dans cette intimité tissée par Bernard Bouin avec les choses , avec ses personnages anonymes , réincarnés dans la chair picturale.
[ Gazette Hôtel Drouot 13 Juin 2003 ]